Après plus de quatre ans dans la milice, Lorant commençait à bien connaitre son métier.
Il y avait de tout dans la milice. Des mecs convaincus de servir le bien et dévouer à faire de Métropolitopia un endroit meilleur, des gars corrompus qui fonctionnent au pot-de-vin, et une bonne partie de paumés qui avaient atterris là par hasard, à défaut de mieux ou par ce que papa faisait ça et que c'était plus simple. Lorant lui, n'entrant dans aucune de ces trois catégories spécifique, et ça, déjà, lui donnait un peu d'identité.
Lorant ne veut pas faire de métrop' un paradis sur terre, sans pour autant l'aider à s'enfoncer un peu plus profondément vers l'enfer. Il n'est pas non plus là par hasard, non, il aime simplement cette ville, aussi bizarre que cela puisse paraître. La milice est ça façon de veiller à ce qu'elle reste ce qu'elle est. Une ville libre, la ville de tout le monde, avec ses bonnes âmes, ses camés, ses putes et ses dealers, et toutes ses familles simplement modestes qui la peuplent.
Dans son uniforme de milicien, il aime se mêler à la foule, à toute cette vie qui pullule son terre. Il en fait partie mais s'en détache un peu, par sa fonction.
C'est une fin d'après midi qui s'annonçait comme les autres. Le service est fini, Lorant rentre a poste central après sa ronde. Il entre, salut sa collègue à l'entrée, occupé à canaliser les doléances du flot ininterrompu de gens venu se plaindre. Se plaindre de tout, souvent plus par principe que par réel souci: On est toujours en France et les bombes n'ont pas changé ça.
Il salut tout le monde en traversant les bureaux. Lorant n'est pas particulièrement remarquable, mais justement apprécié assez sincèrement pour sa simplicité. Il ne fait pas d'ombre au plus carriéristes, ne fait pas de misère aux plus faiblards. Il fait rire, ou au moins sourire les secrétaires, et satisfait plutôt bien son chef de division par son travail appliqué même si pas toujours parfait.
Une agitation supplémentaire remue cette ménagerie. On interpelle Lorant à l'autre beau du poste alors qu'il vient de s'assoir et envisage une clope:
- Hé, Outang, vient par là.
C'est un de ses supérieurs, un haut gradé de la milice - la notion de grade valant ce qu'elle vaut dans la milice - un type grand qui devient un peu gras depuis qui'il ne passe plus sa journée en ronde dans les tunnels. Un parka beigeâtre un peu sale et un chapeau bogarte, ça fait inspecteur d'avant guerre. Le type se fait appeler Columbard, et se pète un max. Mais Lorant s'en fout, il a rien contre lui.
Il se lève, sans se poser de questions. Quand on l'appelle, il vient. Les questions et la paranoïa, il voit ça après.
Il entre dans le bureau, Colombard n'est pas seul. D'autres sont là, des collègues qu'il connait bien, et d'autre un peu moins. Ils sont tous autours du bureaux, sur lequel sont posé des papiers. Lorant reconnait d'un coup d’œil les plans de métro qu'ils ont l'habitude d'utiliser pour marquer leurs rondes, un emplacement marqué d'une croix, et le dossier d'une affaire en cours: Un milicien était porté disparu. Après deux jours d'absence, ont a trouvé sa famille - femme et fils - morts, chez eux. Mais pas de trace du milicien Galoche. Arnaud Galoche, son nom.
Une enquête avait du coup été ouverte. C'est rare que la milice mène vraiment une enquête, en général, elle se contente de faire veiller un semblant d'ordre et de rassurer un peu la population. Que les dealers reste dans leurs tunnels, séparer les dispute d'ivrognes et qu'on emmerde pas trop les putes. Quand il y avait des morts, ont s'occupait des corps et on oubliait.
Mais ce cas là était différent. ça jetait un froid sur la milice, et la disparition d'Arnaud posait des questions: Coupable ou victime? Certaines personnes voulait des réponses.
Arnaud avait en plus la réputation de pas être tout à fait clean, et sa femme non plus. Des vieilles histoire de famille, Lorant n'en sait pas beaucoup plus, mais sa curiosité était éveillé par cette réunion et que l'on demande sa présence.
Il allait en savoir plus tout de suite.
- Lorant, je sais que t'as rien contre quelques heures sup' non rémunérée hein héhé... alors on a pensé à toi. T'es au courant du cas Galoche? Je t'épargne les détails, mais l'enquête avance et on a nos premières pistes, grâce à un indic.
On a une petite opération pour ce soir, on espère coincé le meurtrier, que ce soit Arnaud ou quelqu'un d'autre. Et on a besoin d'hommes qui connaissent bien le terrain, les tunnels, tout ça. Intéressé?
Lorant est intéressé, évidement. Comme tout le monde, il aime les énigme et les mystères, les secrets à dévoiler. Et il n'est pas contre un peu d'aventure.
Ce soir? Rien de prévu, comme quasiment tous les soirs en fait, donc la conserve à réchauffer attendra quelques heures.
On lui communique les informations essentielles: Un indic - peu importe qui pour le moment, son identité n'a pas d'importance - à mener l'inspecteur Columbard à la possible planque du coupable. Dans une zone de non-droit ou peu de gens recommandables passent, la position est assez vague alors il faut fouiller les lieux, et trouver Galoche... ou son meurtrier.
Lorant ne sera pas seul, un autre agent -Le milicien Duperré- participera à l'opération, et Columbard les suivra d'un peu plus loin, près à intervenir -ou fuir- si besoin et à récolter les lauriers en cas de réussite. Deux miliciens et un inspecteur. La discrétion et l'effet de surprise sont de mise.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Deux heures plus tard. Nos trois miliciens s'approchent de la position indiquée, loin des tunnels habités.
- Bon, vous savez ce que vous avez à faire. Je reste en retrait, faite votre boulot. Vous connaissez la gueule de Galoche, essayer de le trouver, ou de trouver son corps. Jouez pas les héros, on le veut vivant s'il l'est encore, et utiliser la radio pour m'appeler si vous trouvez quoi que ce soit.
L'art de ne pas se mouiller. Au propre comme au figuré. Cette partie des tunnels est humide, parfois partiellement inondée. Lorant et son collègue progresse à la lumière de leur lampe torche, avec de l'eau jusqu'aux chevilles. Lentement, sur le qui-vive, cet endroit n'est pas sûr. Des gangs, des dealers indépendants, des criminelles. Ces tunnels de services, sombres humides et tortueux sont idéals pour se cacher quand on a quelque chose à se reprocher...
La traque avait commencée.