Saint-Vincent avait écoulé la plupart des stocks. Petit à petit, il avait vendu sous le manteau, dans des ruelles qui semblaient toujours plongées dans l'obscurité, les doses de Psycho, toujours à visage couvert. Saint-Vincent savait quels clients désiraient quoi, et où les trouver.
Il y avait cet espèce d'aristocrate cinglé, à qui il avait vendu 15 Psycho'75'Pur d'un coup. Une bagatelle, pour ce taré. Saint-Vincent savait que c'était un véritable pervers sadique. Le genre de type teigneux qui torture les femmes dans sa cave. C'était connu, même si pour rien au monde, le dealer n'aurait voulu aller vérifier lui-même ce qu'il y avait dans la grande maison résidentielle où ce client vivait. Louis-Marie, qu'il s’appelait. Louis-Marie le Dingue, pour ses collaborateurs. D'après ce que Saint-Vincent savait, Louis-Marie le Dingue achetait des esclaves - surtout des femmes - aux Négriers, et donnait ensuite des ... "spectacles" ... privés, chez lui, pour quelques amis aussi pétés de thunes que lui. Lors de ces petites sauteries sanguinaires, tous consommaient de la dope pour se mettre dans l'ambiance. Mais le psycho, cette drogue rare qui rend particulièrement affamé de violence et assoiffé de sang, était le produit idéal pour Louis-Marie et ses amis. Saint-Vincent préférait ne pas s'incruster dans ces petites fêtes, de peur de passer la soirée du mauvais côté des convives. Mais il trouvait cette façon de s'amuser parfaitement cocasse et ne manquait jamais de souhaiter une bonne soirée à son client quand il lui vendait du matos.
(Inventaire : -15 Psycho'75'Pur.)
Évitant soigneusement les zones infestées de Tridents, Saint-Vincent zona aussi à Boulogne-Billancourt, dans la Banlieue près du Pont de Sèvre, laissant le Parc des Princes et Auteuil à ses homologues Tridents. Inutile de se faire repérer. A Boulogne-Billancourt, il découvrit un nouvel espace plein de clients. Il y écoula, au cours de la semaine, 23 Psycho'50'Pur et 5 Psycho'75'Pur. La zone étant relativement délaissée par les dealers - du fait de son éloignement géographique de Métropolitopia - mais néanmoins habitée, il acquit vite une nouvelle clientèle qu'il fidélisa. En particulier une espèce de secte de neo-satanistes avec laquelle il sympathisa. Les gars encapuchonnés de toges noires faisaient des sortes de rituels ésotériques, invoquant des entités divines et des démons lors de cercles, de rassemblement, où tout le monde arrivait défoncé. Invité par le Maître de Cérémonie, Janko, à assister à un Sabbat, Saint-Vincent, défoncé aux opiacés et aux hallucinogènes, suivit les incantations de ces adorateurs du Malin en auditeur libre. Une jeune femme, qu'ils appelaient la Pythie Hôte, sembla pendant plusieurs dizaines de minutes possédée par une puissance supérieure. Saint-Vincent se retrouva dans ces rituels. Lui aussi était parfois possédé par l'Ange qui lui parlait. Il revint plusieurs fois les voir, philosophant souvent dans de grandes discussions sur les notions abstraites de la spiritualité, les préceptes du satanisme enseignés dans ce Cercle, et la notion du Divin en chacun de nous. Invariablement, la drogue comme révélateur du Divin, et comme démonstration à l'hypothèse divine, revenait à chaque nerf important de la discussion. Il s'agissait en fait de réels chamanistes, de sorciers, ou qu'importe le nom qu'on pourrait leur donner, qui trouvaient leur force dans les drogues. Et en cela, ils ressemblaient au dealer. Mais Saint-Vincent fut étonné de ne jamais voir un sacrifice humain au cours de ces aller-retours. Janko lui avait confié que les sacrifices existaient, mais que seuls les initiés les plus nobles pouvaient y accéder. Saint-Vincent repartit, promettant de revenir bientôt pour réapprovisionner les stocks du Culte.
(Inventaire : -5 Psycho'75'Pur -23 Psycho'50'Pur -2g Salvia Divinorum -3g Datura -quelques comprimés de Ketamine)
Le dealer toxicomane vendit également 8 Psycho'75'Pur et 10 Psycho'50'Pur par-ci, par-là, discrètement, au détour d'une ruelle, ou chez un vieil ami terré dans un appartement, avec une seringue encore plantée dans le bras. Un, plus un, plus un ... Les doses s'amenuisaient sans éveiller les soupçons. La plupart de ses clients, même ceux qui le connaissait comme un Trident, était de toute façon bien trop défoncés pour se demander d'où venait la camelot, et étaient à peine capable de parler. Ils semblaient tous dans un état de semi-conscience, comme s'ils avaient perdus pied avec la réalité. Le rêve était perpétuel, et le sommeil n'existait plus. C'est ces clients là que Saint-Vincent prenait plaisir à visiter. Il affichait toujours un large sourire en voyant ces toxicomanes dans le coltard qui lui souriaient paisiblement en retour. Saint-Vincent les assassinait à feu doux, et les voir se consumer le mettait dans une joie immense. C'était son œuvre. Il ne craignait rien de ceux-là. C'était ses jouets. Ses patients. Ses sujets d'expérimentations. L'un mourut d'une overdose directement après avoir prit un Psycho'75'Pur. Le Saint démoniaque s'en enthousiasma, et consuma un gramme de datura, avachis sur le canapé à côté du macchabée à qui il venait d'apporter la mort. Il savoura l'atmosphère pesante et crasseuse, puis dépouilla la maison. Il trouva pleins de jolies choses :
(Inventaire : -1g de Datura +74 anneaux +1 nuka cola +1 dose d'héroïne +23g de cannabis dans une poche +1 briquet neuf)
Et puis y avait ces gangs, de l'autre côté de la Seine et du Bois de Boulogne, à Nanterre. Des gars durs comme l'acier, pas facile à trouver, en bordure du territoire de la FNF. Pendant qu'à Métropolitopia, les petits lascars se plaignent de la FNF (incapable de s'implanter, et encore trop fragile pour s'imposer), de l'autre côté, des Puteaux jusqu'à Nanterre, une véritable guérilla urbaine faisait rage H24 entre les Forces de la Nouvelle France et les anarchistes, menés par plusieurs leaders charismatiques, sachant attiser la haine chez les hommes. Les gars utilisent surtout les dealers de chez eux, et se bourrent d'amphétamines jusqu'à la glotte avant de monter au front. Lancer de grenades, tirs de lance-roquettes, bombes artisanales, attentats suicides, fusillades à toute heure. On sait pas trop comment, le conflit s'embourbaient, et aucun camp ne semblait céder un pouce. A croire que les munitions et les drogues étaient illimités. Mais le psycho, ça, ils ont pas, les types de Nanterre. Saint-Vincent tenait trop à sa vie pour choisir comme seules alternatives de traverser le territoire contrôlé par la FNF ou de traverser le Bois de Boulogne, afin d'entrer en pleine zone de guerre pour refiler quelques doses. Mais grâce à ses contacts, en fin de semaine, un dealer de Nanterre devait se déplacer en personne dans le seixième pour lui prendre une bonne partie de son stock. Pas loin de 36 Psycho'50'Pur. Tout ce qui lui restait, presque, en fin de compte. Une sacré somme qui allait tomber. Il devait les rencontrer le lendemain ...
Saint-Vincent se réveilla en sursaut. Il passa sa main sur son visage et sentit ses pommettes osseuses encore bien rattachées à la peau décharnée et abîmée qui était dessus. Tout ça n'avait été qu'un mauvais rêve. Il s'efforça de se souvenir des détails, mais plus il essayait de rapporter les brides de rêves qui lui revenait en un souvenir cohérent et conscient, plus il peinait à se rappeler, jusqu'à ce que tout devienne si flou qu'il ne se souvint que de la chute.
Il se releva du canapé aux ressorts détraqués dans lequel il avait dormi assis, sans doute le temps d'une ou deux heures. Peut-être moins. Certainement pas plus, en tout cas. Il bailla et s'étira. La nuit avait été bien mauvaise, et il était courbaturé. Il était comme un mort-vivant, une goule sans cervelle, et en plus, sans son pantalon. Il baragouina quelques mots indéchiffrables pour se motiver, et fouilla à ses pieds. Sur le tapis dégoutant à côté du canapé, sous la table basse du petit salon, il y avait une bouteille de vodka au trois-quart vide. Il la prit et s'en envoya une rasade illico. Le liquide, pur, et de mauvaise qualité, lui chauffa bien la gorge et le palais et lui fit ouvrir les yeux en grand. Il toussa comme s'il allait être emporter par la mort et se sentit sur le point de vomir aussitôt le liquide transparent juste ingurgité. Il parvint à reprendre contenance au bout d'une minute qui lui parut bien longue. Il enfila son pantalon qui se trouvait on loin et se roula une cigarette.
Après ce petit déjeuner à la brutalité auto-destructrice, le Saint rassembla ses affaires. Ses drogues. Sa marchandise. Ses armes. Et ses petits effets personnels. Le moment de la dernière transaction approchait.
* * *
Il se présenta au lieu de rendez-vous avec la dope, comme prévu. 36 Psycho'50'Pur. C'était le premier étage d'une ancienne petite boutique renfoncée dans l'architecture globale de la ville. Discrète, mais offrant une vue dégagée sur la rue principale. Pourtant, un présentement le tenaillait. Et sa sobriété l'empêchait d'être aussi extralucide et intuitif qu'il l'aurait souhaité. Mais en cas de pépin, il se préférait lucide dans l'instant présent et dans le monde réel, plutôt que lucide dans une réalité alternative et dans un temps noté X. Le gars arriva finalement. Le Saint le vit arriver par la fenêtre. Il était accompagné d'un petit gars, un type que connaissait Saint-Vincent. Un jeune gosse de 17 ans à tout casser. Un indic', comme on les appelle. Les fouilles-merdes qui pouvaient te donner un sacré coup de main en te donnant des infos, ou bien te foutre dans la merde en donnant des infos que tu préférais garder pour toi à tout le monde. Bref : le genre de raclures à qui tu peux pas faire confiance, qui retournent leurs vestes trois fois par jour, qui se croient trop intelligents et malins pour ne jamais être emmerder pour les nombreux coups de putes faits, et qui finissent généralement pendu avant 22 ans. Il se trouve qu'en l'occurrence, ce fouille-merde était celui qui avait arrangé la rencontre, évitant à Saint-Vincent de se déplacer et d'entreprendre un voyage périlleux.
Mais en les voyant côte à cote de la sorte, Saint-Vincent sentit son pressentiment devenir plus insistant, comme si les augures étaient soudain chargés d'oiseaux de malheur. Le gars entra, suivit de son acolyte, monsieur Mouchard, un peu en retrait. " Y a quelqu'un ? " Saint-Vincent n'avait plus de munitions pour son Desert Eagle, mais il glissa son couteau Ballisong dans sa manche droite, et prit la sacoche remplie des doses de Psycho dans la main gauche. Il descendit les escaliers. " Je suis là, les gars. Vous avez le pognon ? "
Les deux dealers se découvrirent en même temps, au fur et à mesure que les pas du Saint le menait à l'étage de plein pied. Il découvrit un jeune homme - plus jeune que lui - au visage joufflu mais marqué de cicatrices. Sa peau témoignait d'origines maghrébines. Son regard dur et sombre, n'était pas celui des victimes de la drogue. Non. Son visage était celui d'un tyran, d'un guerrier, d'un homme dangereux. Saint-Vincent s'arrêta prudemment à six mètres de son homologue. " Bien sur que j'ai le flouze, pour qui tu m'prends. - On peut tester le produit ?" coupa le Mouchard, en faisant un pas en avant, sortant de l'ombre de son compagnon. - Et ta mère, on peut la tester avant, aussi ? " Le petit s'écrasa et reprit sa place, penaud. Le Saint reprit à l'attention du dealer : " Excuse moi, gars, mais tu comprends bien que je peux pas te faire tester. C'est du 50/50 niveau dose. Tu pourras tester par toi-même quand tu auras payé, et tu verras que c'est le meilleur Psycho que t'auras jamais eu ! De toute façon, on est les seuls à en avoir, en ce moment. Alors ? Le blé ? "
L'arabe posa une mallette au sol, s'accroupit, et l'ouvrit, tournée vers lui, tout en continuant de parler. " C'est pas donné, quand même. Mais si c'est aussi bon que tu le dis ... ça doit valoir le coup. "
La tension devenait palpable. Cet imbécile de Mouchard commençait à baliser. Il jetait des coups d’œils frénétiques vers Saint-Vincent, puis l'Arabe, puis Saint-Vincent, puis la mallette, puis Saint-Vincent ... Une girouette. Les deux dealers, eux, jouaient comme au poker. Détendus en apparence. Mais en tout deux prêts à s'entre-dévorer.
Il tourna la mallette, lentement. Le fric était bien là. " Okay, bien ! " renchérit le dealer squelettique en ouvrant le sac contenant les doses de Psycho " Voilà la dope, tout est là. Alors maintenant, le Mouchard, tu vas faire le médiateur. " Des gouttes de transpirations dégoulinaient sur le front de fouine de l'indic. Il jetait des regards affolés, presque suppliants, aux deux dealers, qui ne se quittaient pas des yeux. L'Arabe referma la mallette et se redressa. Il passa l'objet convoité au Mouchard, sans détourner son regard de Vincent, tel une vipère prête à bondir sur sa proie. La fouine prit la mallette d'une main chevrotante et moite. Il ne fit plus un pas. Un silence lourd s'instaura dans la pièce, le temps de deux secondes. " Bha vas-y, connard ! " s'impatienta celui qui venait de lui confier son bien. Le mouflet fit un pas dans la direction du Saint, et, de nouveau, s'arrêta. Même attente stressante. " Par Allah Tout-Puissant, active, ould el kelb, ou je t'éventre ! " Le jeune reprit sa progression, plus stressé et en panique que jamais face à la menace. Mais arrivé à mi-chemin, il laisse tomber la mallette au sol. Saint-Vincent sursaute et lâche le regard de celui qui le fixait pour regarder le Mouchard complètement affolé. Affolé, il l'était. Mais aussi armé. Le petit cafard venait de dégainer un 9mm et le pointait sur le Psychotique. Le pressentiment se confirmait, là. Et il se confirmait bien. Le gamin tremblait comme une feuille. " Putain, lâche ce flingue, Mouchard ! Tu vas faire une connerie ! " gueula le Saint. " Tu envoies le sac de Psycho, et tu la fermes ! " répondit le gamin, la voix chevrotante. " Sinon, je tire ! - Okay, okay, calme toi ! "
Il envoya le sac sur le mioche, qui le réceptionna malhabilement. Ni une, ni deux, Vincent profita de l'opportunité, il dégaina comme un dard meurtrier son couteau qu'il lança directement dans le plexus du gamin, qui s'effondra. Mais, désormais désarmé, l'Arabe qui avait à son tour dégainé son pistolet avait l'avantage. " Beau lancé. Allez, casse toi dans les 5 secondes en laissant tout ton merdier ici, et je te flinguerais pas. " Le type mentait. En tout cas, la parano de Saint-Vincent - actuellement légitime - lui dictait de ne pas s'enfuir.
* Il attend que tu te retournes et que tu t'enfuies pour te tirer dans le dos * pensa le camé. " Un ... " Saint-Vincent recula d'un pas ... " Deux ... " Toujours sans se retourner, il recula d'un pas de plus ... " Trois ... - Déconne pas ... Plus jamais tu toucheras à du Psy, si tu fais ça. - Quatre ... " Saint-Vincent jeta un coup d’œil à sa droite. Deux canapés et une commode. Un couvert face à un tir de balles. Et à l'arrière une fenêtre. " Cinq ! "
Saint-Vincent plongea derrière le canapé tendit que retentissaient trois coups de feu. Instinctivement, il couru en position accroupie et fit une roulade pour se mettre à couvert derrière la commode. Deux autres coups de feu ! Il couru de toutes ses forces et plongea à travers la fenêtre pour se retrouver sur le pavé froid de la ruelle de derrière. Il fonça vers la porte de derrière, sachant pertinemment que le type allait être sur ses talons dans la ruelle et pourrait l'aligner sans le moindre mal.
Effectivement, le type avait couru jusqu'à la fenêtre à sa suite et déboula dans la ruelle, juste après que le Saint ne referme la porte sur lui et la ferma à clé. " FILS DE CHIEN ! - TA MÈRE LA PUTE, BÂTARD ! " La loi "pas les mamans" ne s'appliquent pas aux situations comme celles-ci. L'arnaqueur allait faire demi-tour, impossible de récupérer le Psy, en plein milieu du salon, à découvert ! Saint-Vincent choisi de sauver sa Pharmacie, au moins. Il remonta et récupéra son sac. Il entendit l'autre monter les escaliers quatre à quatre à sa suite ! Pas le temps d'ouvrir la fenêtre ! Il sauta à travers et chuta de six mètres en contrebas. Il se réceptionna sur ses pieds, et, n'écoutant que l'instinct de survie, il sprinta difficilement, les jambes endolories par la chute, pour se mettre à couvert, dans le métro.
Des coups de feu tirés de la fenêtre vrillèrent ses oreilles, mais il avait réussi, avec une chance insolente, à s'en sortir indemne et avec sa Pharmacie et ses affaires. Mais sans le Psycho.
" Le retour se fera au centuple ... " se promit, sombre, le Psychotique en courant à travers le dédale du métro pour mettre de la distance ...