Saint Vincent était entré à la suite d'Athalia, encore partiellement essoufflé. Elle referma derrière lui. Machinalement, il avança vers la cuisine, sur la droite en entrant. Elle le suivit et ouvrit le frigidaire pour en sortir deux Nuka-Cola.

" Assieds-toi. " lui dit-elle simplement en les posant sur la table. Un disque était en route, dans la pièce d'à-côté, pas trop fort, juste en fond d'ambiance. L'odeur de plantes dans l'appartement de la jeune fille était tenace. Cette fille aimait l'herbe à fumer et avait un profond amour pour tout ce qui pousse et grandit dans la terre. Elle avait d'ailleurs plusieurs plantes dans son appartement, dans des pots un peu partout. Les plantes étaient magnifiques, du regard de Saint-Vincent. Elles n'auraient probablement pas pu être plus belles qu'elles n'étaient, avec la terre irradiée.

Il prit place autour de la table. Elle le retrouva autour de la table. Elle prit une gorgée de sa canette de Nuka-Cola, puis fit un sourire à Saint-Vincent en reposant la cannette.
" Merci. Tu sais je ne t'en aurais pas voulu si tu n'étais pas venu pour la réparer. "

Saint-Vincent eut un sourire sarcastique.
" Tss. Tu me dis ça parce que je suis venu. Si j'étais pas venu, tu m'en aurais voulu. Les filles sont comme ça. " Néanmoins, il fit un sourire à la jeune fille. Il lui pardonnait finalement de n'être qu'une victime des aléas du genre féminin. Surtout que son genre féminin était compensé par d'autres atouts ... Comme la jeune fille n'avait passé que la tête dans le couloir, il n'avait pas vu sa tenue pour le moins ... découverte. Il prenait plaisir désormais à voir le ventre et les épaules nues de la jeune fille, habillée par une simple bande noire sur la poitrine.

Il se roula une autre cigarette et décapsula son Nuka-Cola, occupant ses mains et son regard à autre chose qu'à la contemplation éperdue des formes et du visage de la jolie demoiselle. Baver devant son corps appétissant - au sens figuré - était un peu trop trivial et bestial, même pour le toxico violent qu'il était. Enfin, les hommes aussi sont parfois victimes de leur nature, se dit-il.
Il alluma sa cigarette.

J'avais peur de ne pas te trouver chez toi. Comme on s'est pas recontacté depuis la dernière fois ... J'aurais pas eu l'air malin. "

Il lui fit un sourire froid qu'il aurait voulu plus chaleureux. Il ignorait complètement qu'Athalia était asociale et agoraphobe. Il tapa sa cendre pour qu'elle tombe dans le cendrier.

Rencontrer les Anges ... Elle voudrait rencontrer les Anges ... Prendre un trip d'héroïne avec lui ... Voilà qui parlait aux instincts noirs du revendeur. Mais pouvait-il entraîner cette jeune fille qui ressemblait déjà à un Ange, sur la pente fatale de la drogue et de ses hallucinations morbides, féeriques et cauchemardesques à la fois ?

Elle était si proche de lui. Il sentait son odeur, celle d'une jeune fille innocente et cultivée qui aimait vivre auprès des plantes et des livres plus qu'auprès de ses semblables. Elle était si proche qu'il n'aurait eu aucun mal à l'embrasser. Alors il approcha ses lèvres, très doucement, en fermant ses paupières lentement, pour ne pas effrayer la jeune biche qui se tenait face à lui.

Sentir ... ses lèvres sucrées ... le goût de sa peau sous ses baisers ... La bestialité s'était terrée profondément et Saint-Vincent n'était plus que tendresse, se laissant guider sans lutter par les sentiments de son coeur et par la drogue douce. Là où les drogues le rendaient habituellement énervé, paranoïaque, violent, et vif, il n'était désormais plus que douceur, calme, quiétude, et paix.

Spoiler:

Il l'embrassa finalement. Il passa la main dans ses cheveux longs, et apprécia la présence de cette jeune fille qui se rapprochait subtilement de son corps, jusqu'à ce que l'étreinte fusse fusionnel. Après de longs baisers partagés, Saint-Vincent décolla ses lèvres de celle de sa compagne. Il hésita, ne sachant comment formuler sa demande.
" Qu'est-ce que ... Je ... Enfin ... "
Il devenait rouge au fur et à mesure que le bafouillage s'accentuait. Il ferma la bouche et se concentra, pour mieux reprendre :
" En fait, ce que je veux dire ... c'est que je ... t'apprécie beaucoup ... et ... en fait, j'adorerais que tu quittes Lutèce pour venir vivre avec moi ... Un jour ! Peut-être pas aujourd'hui ! Mais heu ... je veux dire ... je reviendrais sans doute ... Parce que je me sens bien avec toi, et ... voilà ... "

Saint-Vincent n'était pas le genre d'homme à savoir parler de ses sentiments, à moins qu'il ne s'agisse de sa haine, de sa colère et de sa violence. Tout sentiment positif ou pouvant être perçu comme un aveu de faiblesse avait toujours été enfouis, profondément en lui, augmentant le poids de sa rancoeur et de sa colère, alourdissant au fil des mois et des années le poids de son fardeau, sans que nul catharsis ne puisse le sauver de la noirceur qui le dévorait chaque jour un peu plus. Et soudain, cette fille. Cet ange véritable, qui dissipe la noirceur de par une lumière éclatante et pure qui éclate dans son sourire et ses yeux. Cet ange véritable, qui ne juge pas les actes et les paroles déplacés d'un homme presque rejeté des Enfers. Cet ange véritable, l'Innocence même, la Sainteté pure.

Et Saint-Vincent ne parvenait pas à lui ouvrir son âme, à lui parler de ce qu'il ressentait vraiment en sa présence. Ce mélange de chaleur et de douceur qui envahissait ses entrailles et semblait provoquer dans son esprit l'explosion d'une drogue toute neuve dans des régions de son cerveau qu'il n'aurait pas soupçonné utiliser. Il ne parvenait, faiblement, qu'à bafouiller des propos incohérents et de simples clichés de mauvais séducteur.

Ses pensées avaient ainsi cheminées, et il ressentait soudain le besoin de prendre son envol du haut de la fenêtre brisée, pour aller s'écraser plus bas sur le bitume, là où la honte de ses mots bredouillés ne le poursuivra pas ...

La jeune fille était comme un oasis de tranquillité, un havre de paix perdu et oublié au milieu d'un champs de bataille perpétuel où seules la violence et la mort étaient d'une compagnie fidèle.
Bien sur, Saint-Vincent avait déjà eu de nombreuses relations durant sa vie. Lorsque l'on a 27 ans et que l'on est un dealer psychotique des Terres Désolées, il y avait peu de chances qu'on soit un homme inexpérimenté avec les femmes. Mais la plupart de ses relations passées tenaient plus du proxénétisme et du viol que d'autres choses. Des jeunes femmes accros à ses produits, qu'il donnait en échange de paiements en nature des plus dégradants ; des prisonnières, des esclaves ou des prostituées servant de jouets sexuels au mieux, de punching-ball au pire, à des Tridents en furie lors de soirées où l'ultra-violence était la règle ; des femmes qu'il avait rencontré sur le chemin de sa vie, et qu'il avait manipulé honteusement, promettant en échange de leurs corps et de leurs habilités une protection et une association qu'il n'offrait jamais après avoir consommé la chaire.

Il avait abandonné des femmes en pleurs, dévêtues, désarmées et désespérées, dans le monde hostile de la Capitale. Celles-ci imploraient de l'aide, de la compréhension, de la pitié ... Il profitait de leurs faiblesses, et les laissait dans leur solitude, plus humiliées que jamais, l'âme tailladée profondément par une absence totale d'empathie.

Mais ici, c'était différent. Même si le Saint en lui faisait pas entièrement confiance, il se souvenait de l'aide précieuse de la jeune fille lors de sa dernière visite. Sans elle, il aurait pu finir aux geôles ou pendu. Même si le dealer ne pouvait bien évidemment pas révéler sa vie en entière à cette jeune fille - pour le bien de tous deux - il se sentait libre de parler de ressentis et de réflexions que d'ordinaire il ne partageait pas. Il se sentait véritablement en présence d'un Ange, prêt à entendre sa voix et ses pensées sans s'effrayer. Et les paroles d'Athalia étaient si douces. " Je ne te demande rien en échange. " Voilà ce qui la rendait si différente de toutes les autres. Il y avait dans son regard et dans ses mots quelque chose de fort, un sentiment sincère et brûlant, et non pas le regard calculateur de celles qui mesuraient ce que pouvait leur apporter notre toxicomane rachitique. Il y avait dans son regard et ses mots de l'Amour. Et bien que le Saint n'en ai jamais ressenti à l'égard de personne (à part peut-être pour ses parents et les gens qui étaient avec lui lorsqu'il était encore un enfant), il comprenait qu'il pouvait ouvrir son âme et sa pensée face à la bienveillance innocente de son amie.

« Viens quand tu le souhaite et ne te sens pas redevable envers moi. Je serai là pour toi comme si tu revenais demain ou dans dix sans même m'avoir donné de tes nouvelles. »

Il sourit à sa jeune amie, la contemplant de ses yeux fatigués et cernés, et lui parla d'une voix douce.

« Je ne me sens pas redevable envers toi. »

Les paroles auraient pu être blessantes, mais il le disait avec un sourire angélique qui ne cachait aucune arrières-pensées ni méchancetés. Il était d'une bienveillance surprenante avec la jeune fille, si jeune comparée à lui. Si pure. Si fragile et pourtant ayant l'air si forte.


Saint-Vincent et Athalia avait continué à discuter longuement de tout et de rien. D'amour, d'avenir, d'espoir, de plantes, et même d'arts ! La jeune fille possédait une culture musicale et cinématographique que Saint-Vincent n'avait évidemment pas, trop souvent plongé dans ses sinistres affaires, trop souvent occupé à survivre pour se divertir. Le Saint ne soupçonnait même pas qu'il y eu autant de films et de musiques créés avant la chute des bombes. Ils regardèrent un film ensemble, serré l'un contre l'autre dans le canapé, pendant que le projecteur grésillait en projetant les images en noir et blanc d'un film policier d'avant-guerre.

La solution pour la fenêtre avait été trouvée. Athalia n'avait pas de voisin. Le Saint passa la soirée à démonter une fenêtre d'un appartement mitoyen abandonné, pour la transférer dans l'appartement de la demoiselle. Après bien des galères et des colères propres au caractère impulsif du personnage, dont l'inaptitude à être efficace en tant que menuisier était amplifiée par la défonce des drogues qu'il fumait allègrement, l'opération Bricolage se solda par un succès bien mérité. A nouveau, les deux jeunes gens partagèrent une boisson et un joint.

Ils finirent par s'endormir l'un contre l'autre, après une discussion calme et apaisante.

Il était la fille dont il rêvait la nuit. L'Ange qui lui parlait, incarné sur Terre.